jeudi 25 décembre 2008

La chaleur aura eu raison du Père Noël


Au Chili, le Noël est estival.

Chaque année, la même féerie envahit nos rues, nos maisons et les yeux des enfants. Chaque année, les mêmes décors se plantent dans nos villes, nos magasins et nos foyers. Chaque année, enfin, la même folie s’abat dans nos magasins, nos têtes et nos portefeuilles. Des guirlandes de lumières suspendues aux réverbères et aux arbres divers, des boules de toutes les tailles pendues aux fils lancés entre les immeubles, des Pères Noël de plastiques qui grimpent aux parois des édifices, qui tapent aux fenêtres, qui s’agrippent aux cheminées, et cette neige qui tente, tant bien que mal, d’accrocher la chaussée. La magie de Noël opère et tout le monde s’attendrit sur cette date mondiale, cette fête universelle, ce décor homogène de par le monde. Aïe, c’est là que le bas blesse ! Attention à ne pas tomber dans le piège de la représentation hollywoodienne ! Dans l’hémisphère sud, on fête Noël en été. Quoi ?! Tu veux dire qu’il n’y a ni neige ni bonnets et joues rougies ? Et merde, la magie se faufile entre les doigts pour s’envoler vers de meilleures latitudes !

Plantons le décor. 30°C à l’ombre en pleine après-midi, une luminosité aveuglante et, devant une boutique du centre de Santiago, un pauvre comédien qui sue dans son costume du Père Noël. Que dis-je il sue ? Il s’évapore ! Dans un numéro paru fin novembre, l’hebdomadaire estudiantin Ctrl+z se penchait sur le calvaire de ces hommes dont la bourse vide astreint à de telles supplices. Pour gagner quelques pesos (que dis-je ? Pour faire rêver les enfants bien sûr !), ils sont prêts à souffrir le martyr, risquant au mieux la déshydratation, au pire la suffocation et l’insolation. L’article était rempli des plaintes de ces Papas Noël estivaux. L’espèce est en voie de liquéfaction.

Pour ne rien arranger à l’érosion du sentiment de Noël, les représentations aussi souffrent de lourdes pertes. L’image du Père Noël, indispensable à la furie consommatrice des pays du Nord, se meurt ici à petit feu. « Je travaille depuis dix ans dans ce magasin et nos campagnes de marketing n’ont cessé de diminuer l’importance des représentations du Père Noël », affirme Pedro Hughes, sous-directeur d’une succursale Ripley située dans le centre commercial de la Florida, au sud de Santiago. La politique du grand magasin, le troisième du Chili, est désormais à la quasi-inexistence du Père Noël. C’est donc à la loupe qu’il faut chercher des dessins publicitaires de ce gros bonhomme serré dans sa barbe et ses habits chauds. Pedro Hughes explique alors que « les gens sont beaucoup plus éduqués qu’avant, ils ont compris que l’on se foutait d’eux avec ce Père Noël habillé comme pour explorer l’Antarctique, son image ne fait plus vendre ».

Une affiche promotionnelle du magasin Ripley. Le Père Noël n'est représenté qu'en tout petit (en bas à gauche).

Mais alors, on la tient notre solution pour sauver Papa Noël ! Pour le faire renaître de ses cendres, pour qu’il sorte de ses limbes et refasse recette, il suffit de le relooker ! Imaginez alors ce nouveau messie de la consommation de masse, froqué d’un short de surfeur et d’une chemise hawaïenne, et portant en bandoulière un sac en toile. Arborant encore et toujours sa barbe immaculée, il ne serait alors pas dénaturé. Et de sa chemise bariolée entrouverte, une grosse touffe de poils blancs pourraient alors ajouter à l’effet sympathique du personnage. Nous aurions enfin un Père Noël adapté à chaque tropique ! Quel mal y’aurait-il à cela ? Après tout, si le vieil homme porte des milliards de cadeaux sur son dos et sait faire voler des rennes, pourquoi ne saurait-il pas changer de fringues ? « Je ne pense pas que cela marcherait, les gens sont tout de même attachés à un certain cliché du Père Noël. Si on le change, ils ne le reconnaîtront pas. Sa représentation actuelle est ancrée dans notre culture », précise Pedro Hughes. Mais cet ancrage culturel n’est autre que le fruit d’une construction sociale du XIXe siècle. En effet, le Père Noël actuel est une invention tout droit sortie des interprétations religieuses et poétiques de l’écrivain Clement Clarke Moore et de l’imagination du dessinateur Thomas Nast, lequel aura vu ses dessins repris par l’illustrateur de Coca-Cola dans les années 1930, Haddon Sundblom. Pourquoi alors ne pas commencer une nouvelle construction ? Pedro Hughes préfère mettre en avant sa nouvelle stratégie : « Toutes nos publicités cherchent à insister davantage sur les facilités de paiement et sur l’esprit familial que sur l’image féerique que véhiculait le Père Noël par le passé ».

Rien ne met en avant l'image du Père Noël dans ce magasin Ripley. Le panneau publicitaire ne traite que des facilités de paiement.


Diantre ! La mort de Papa Noël est-elle donc inscrite au cahier des charges ? Une promenade au cœur de Santiago finit de nous en convaincre. En ce 24 décembre 2008, le Passage des Orphelins (Pasaje Huerfanos), une voie piétonne très commerçante, porte bien son nom. Orphelins d’enchantement et de rêves, les passants marchent dans une rue quasi-vide de décorations et où ne résonne aucun chant de Noël. Orphelins de Père Noël, ils se rappellent à la douleur de son absence en entrant dans chaque magasin. Sur les affiches publicitaires, Falabella recycle le rouge de Noël pour le vert de son enseigne. Quant à Hites, il troque notre pauvre Papa Noël pour son animal fétiche, également de plus en plus menacé par cette chaleur suffocante.

El huevón

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bon article !
Mais... Janvier... Février... Mars... Avril ?
au boulot bonhomme !
Thibaut