dimanche 5 octobre 2008

Le 11 septembre chilien


Alors que le monde entier se rappelle du 11 septembre comme de l’acte terroriste contre les Tours Jumelles, seul le Chili fait exception à la règle. Le jour n’en est pas moins funeste puisqu’il célèbre l’événement le plus traumatisant de l’histoire chilienne : le coup d’Etat militaire de 1973 et l’ascension d’Augusto Pinochet au pouvoir. Malgré la fin de la dictature en 1990, cette date continue de marquer au fer rouge une société qui n’en finit pas d’être divisée. Chaque année, elle est le prétexte d’affrontements violents entre manifestants et carabineros (police nationale).

Etrange pays que ce Chili qui ne parle jamais de son sombre passé mais où tout explose inexorablement chaque 11 septembre. Tel une cocotte-minute laissée sans surveillance, les maux chiliens rejaillissent lorsque la soupape de l’oubli ne peut plus les retenir. Chaque année, la division profonde du Chili est étalée au grand jour. Chaque année, les mêmes violences mettent à nu une société qui n’a toujours pas affronté sa propre histoire. « N’est possible ni pardon, ni oubli, ni réconciliation » est-il écrit sur une affichette laissée au pied de la statue de Salvador Allende, le président socialiste déchu par le coup de 1973 et qui s’est suicidé plutôt que de se rendre, en face du palais présidentiel. Ses partisans continuent de lui rendre hommage et de scander son nom avec ferveur. « Je pense qu’il faut attendre le changement générationnel pour voir la situation actuelle changer », affirme Rocio Cruz, une étudiante de la grande université de gauche du Chili, la Universidad de Chile. « Comment pardonner quand on a été personnellement touché par la dictature et quand personne ne demande pardon ? », ajoute-t-elle. Il est vrai que dans la société chilienne et le reste de l’année, le sujet est évité, mis aux oubliettes, passé sous silence. Les ressentiments n’en peuvent être que plus tenaces.

Ainsi, Daniela Olivarez, une autre étudiante de la Universidad de Chile, explique que « le 11 septembre est nécessaire pour se remémorer, pour que les familles se recueillent publiquement ». Avant de préciser : « Quant aux violences, elles sont une façon de dire que la lutte pour un monde meilleur n’a pas été oublié, que le message d’Allende n’est pas mort ». Cependant, beaucoup ne partagent pas cet avis. « Il n’y a plus aucune motivation politique à ses manifestations de violences. Nous ne sommes plus dans les années 1990 où il était alors vraiment dangereux de sortir dans la rue quand les deux camps politiques s’affrontaient avec force », explique Cristobal Alvarado, étudiant en médecine.

Aux alentours de 21 heures, les premières barricades sont montées et les premiers brasiers s’allument. Alors que par le passé la violence était assez généralisée, c’est dorénavant dans les quartiers défavorisés qu’elle se fait le plus sentir. Au milieu de l’avenue Grecia, au Sud-est de Santiago, les carabineros ont installé leur forteresse de béton et s’en échappent par petits groupes, se postant le long des murs et attendant les ordres sur le qui-vive. Tout autour, de jeunes chiliens provoquent, insultent et lancent des projectiles. Des voix d’enfants se font même entendre. « Chaque année, les manifestants sont de plus en plus jeunes. Il y a même des enfants de 12 ans parmi eux ! », explique un passant. Bien plus qu’une expression politique de gauche, ces manifestations se sont transformées ces dernières années en le symbole du mal-être d’une société chilienne qui a oublié une part de sa population dans son magnifique développement économique.




Cette année, le bilan s’établit à 234 personnes arrêtées à travers le pays et 31 blessés dont 22 membres des forces de l’ordre. Néanmoins, « les événements sont de moins en moins violents », assure un passant qui s’est arrêté pour assister aux affrontements. La phrase qu’Allende avait prononcé avant de se donner la mort reste alors d’actualité : « J’ai confiance en l’avenir du Chili ».



El Huevón