mardi 28 avril 2009

Histoire d’une réussite

(La version originale de cet article est en espagnol, disponible sur mon blog: www.vista-sobre-patronato.blogspot.com)
A 84 ans, Jorge Sarras a connu une vie riche en épreuves et rebondissements. Son succès n’a pas été facile et son mérite en est d’autant plus grand. L’homme est tenace : il a toujours insisté, toujours avancé et jamais renoncé.

Jorge Sarras est assis au second rang, à droite de l’autel de l’Eglise San Jorge, dans Patronato, un des plus vieux quartiers de Santiago. Alors que les chants religieux se sont tus et que les croyants se lèvent pour recueillir le pain béni, le vieil homme parle à quelques amis. Avec ses traits marqués par l'âge, son œil gauche gonflé et sa tête chauve, il semble être le doyen de la messe dominicale.
A la retraite depuis une vingtaine d’années, cet ancien bourreau de travail s’est transformé en un riche retraité qui ne souhaite que profiter d’une vie qui lui a trop de fois joué des mauvais tours. A 84 ans, Jorge Sarras est un personnage emblématique de son quartier, autant du point de vue de son histoire que de sa réussite dans les affaires.


A 84 ans, Jorge Sarras est un personnage emblématique du quartier de Patronato.


"Né à Illapel en 1924, il est le second enfant d’une famille de cinq frères et sœurs", raconte Nimer Sarras, le troisième et dernier fils de Jorge. Les parents de Jorge, originaires de Beit Yala, en Palestine, ont immigré au Chili en 1917 pour fuir le régime ottoman. Avec trois pièces d'or et quelques bijoux, la famille en exil a pu ouvrir une petite boutique de tissus à Illapel. « Ce fut une époque très prospère ! », commente encore Nimer, qui a maintes et maintes fois entendu cette histoire. Sans aucun doute, l’enfance de son père fut agréable.
Assis sur une chaise de son ancien restaurant, mais qui maintenant appartient à ses deux plus jeunes fils, Nimer et Guillermo, Jorge Sarras se cache derrière ses lunettes noirs. Il a gardé l’habitude de porter ses montures qui par le passé lui servait à dissimuler ses émotions lors des négociations commerciales. Tel un joueur de poker, il ne voulait pas que l’adversaire, dans les affaires, puisse connaître son jeu et savoir quand il était satisfait ou non de la transaction. Sans son talent commercial, il n’aurait jamais refait fortune après le naufrage de son père.

« Ils étaient morts de faim »

Les poches pleines de ces années de prospérité, la famille Sarras décida d’organiser une année entière de vacances. Le but : parcourir l’Europe et revenir sur la terre palestinienne. La seule erreur : la date choisie pour un tel périple, 1939. Quand toute la famille arriva en Espagne, le général Franco venait de gagner la guerre civile. « Mes grands-parents avaient le choix entre revenir au Chili ou poursuivre leur voyage en Europe alors même que les tensions entre les différents pays augmentaient. Par malchance, ils choisirent de continuer », relate Nimer.
Commença alors la descente aux enfers. Rapidement, ils se rendirent compte qu’ils ne pouvaient rentrer à cause des blocus de guerre. Ils se retrouvèrent enfermés dans un continent inconnu avec suffisamment d’argent pour un an. Mais la guerre dura cinq longues années et les Sarras se réfugièrent en Palestine, sans un sou. « Ce fut terrible, ils étaient morts de faim », raconte Emilia Sarras, une cousine de Jorge. C’est durant cette période que Jorge Sarras s’est construit une grande partie de sa personnalité. De ces temps difficiles, il a gardé le courage, la détermination et l’abnégation. « Comme il ne savait pas parler arabe, il arrêta ses études et travailla avec son père pour alimenter la famille », explique Nimer. Mais au final, « ils vivaient quasiment dans la rue », ajoute-t-il.

Un homme sociable

Durant onze années, la famille nourrit l’espoir fou de retourner un jour vivre au Chili. « Ses racines étaient ici, toute sa vie était ici », commente alors René Urrutia, un ami de longue date de Jorge. L’intégration de Jorge à la société chilienne avait été réelle. Ses parents avaient tout fait pour cela, s’empêchant même de parler arabe. Une intégration également facilitée par le fait que les immigrants Palestiniens, étant tous orthodoxes et non musulmans, ont été plus rapidement acceptés par une société fortement catholique. « J’ai la sensation que plus il vieillit et plus il se rapproche de la spiritualité. Il met de l’ordre dans sa vie », lâche son fils en soupirant. Mais Emilia Sarras souhaite préciser que « l’Eglise reste surtout un lieu où il rencontre ses vieux amis ».
D’ailleurs, ce sont les mêmes raisons qui l’amènent régulièrement au club de dominos situé en face de son ancien restaurant, l’Omar Khayyam. « Je crois qu’il vient ici pour se joindre à ses amis du même âge », suggère Rosento Rovles, le locataire des lieux et ancien employé de Jorge. « J’ai travaillé pour lui durant 26 ans, je le connais bien et je peux dire que c’est une personne très cordiale », ajoute-t-il.

« Ils sont repartis de zéro »

Si de nos jours Jorge Sarras est un homme profondément sociable et solidaire c’est en partie grâce à son histoire personnelle. Il a reçu tant d’aide durant sa vie que maintenant il est de sa nature de tendre la main aux autres. Le père de Jorge était en contact avec des cousins restés au Chili. En 1950, il leur demanda un prêt pour pouvoir rentrer au pays. Avec cet argent, seulement Jorge, sa sœur Margarita et son frère Salomon purent revenir dans l’espoir d’accumuler suffisamment d’argent pour rapatrier le reste de la famille. « Des parents l’aidèrent, la jeunesse fit le reste. Ils repartirent de zéro », relate Emilia. Puis, tout sourire, elle poursuit : « La mère de Jorge est resté un temps à l’ambassade chilienne d’Italie avec Gabriela Mistral [célèbre écrivaine chilienne]. Elle attendait l’argent et le visa ! ».

La photo du passeport avec lequel Jorge Sarras retourna au Chili en 1950.


Jorge et Salomon commencèrent comme ouvriers dans une fabrique de textile qui appartenait à un riche palestinien. Quatre ans après leur retour, les trois frères et sœurs purent rembourser le prêt et faire venir la famille entière. Ils s’installèrent alors à Ovalle, dans la Quatrième région, et montèrent un commerce de chaussures. Comme les affaires allaient bien, Jorge déménagea avec ses parents afin d’ouvrir une fabrique d’élastique à Santiago, en 1960. La prospérité était de nouveau au rendez-vous.
Mais ce fut réellement la décision que pris Jorge en 1969 qui permit un réel retour au niveau de vie d’antan. Depuis quelques années, Jorge avait la sensation qu’il manquait quelque chose à Santiago : un restaurant arabe. « Mon père fut très pragmatique. Il ne se lança pas dans ce négoce par passion pour la nourriture mais par appât du gain », commente encore Nimer. Ce fut le tournant de sa nouvelle vie. Sa ténacité était récompensée.
Ces jours-ci le restaurant va fêter son quarantième anniversaire, le plus vieux de tous les restaurants arabes de Santiago. L’Omar Khayyam est une référence pour beaucoup de clients gourmets de la capitale. Jorge, qui prit sa retraite à la fin des années 80, a montré durant de longues années son talent de commerçant. Rosento Rovles décrit Jorge comme « un patron respectueux et fidèle. » Cependant, il semble parler de son ancien employeur avec une certaine retenue. C’est que Jorge Sarras a toujours su garder ses distances avec les employés. « Les choses devaient toujours être à leur place » se rappelle René Urrutia, propriétaire, avec ses deux frères, d’une boucherie dans le même quartier.


Ouvert en 1969 par Jorge Sarras, l'Omar Khayyam va bientôt fêter ses 40 ans.


L’homme d’aujourd’hui.

Quand Jorge voit sa femme, Adela Jadue de Sarras, sortir du restaurant, il se lève calmement de sa chaise pour la rejoindre sur le trottoir. Il paraît fatigué. « Il est un peu malade », avoue Emilia Sarras. « Maintenant, c’est un homme de maison, ni plus ni moins », ajoute Angela Jadue, une sœur d’Adela. « Il fut un bon chef de famille, il a bien éduqué ses fils. D’ailleurs, tous ont terminé leurs études ! Et quant à ma sœur, elle n’a jamais travaillé en dehors de la maison », poursuit Angela.
Le couple octogénaire tourne au coin de la rue. Ils ont disparu. « Bien qu’il fut un homme rude dans le négoce, Jorge reste quelqu’un de très réservé, très tranquille, beaucoup plus que ses deux frères », explique en riant René Urrutia. Avec l’argent qu’il a gagné, Jorge a beaucoup voyagé, aux Etats-Unis et en Europe, mais maintenant il reste dans Patronato, le quartier des immigrants du monde entier. Il visite ses fils Nimer et Guillermo au restaurant et Miguel dans sa boutique de vêtements, il joue aux dominos avec ses amis et « emmène sa femme à la gym ou faire les courses », décrit Nimer. Il se rend aussi chaque dimanche à la messe. La communauté arabe du quartier le respecte beaucoup, c’est une sommité locale. Aujourd’hui, il lui reste une famille prospère, de vieux amis et beaucoup de souvenirs. Emilia Sarras rit en pensant au plus gros défaut de Jorge, « son orgueil quant à sa réussite ! »
El huevón

dimanche 28 décembre 2008

L'Australie aborigène


Le qualificatif "aborigène" signifiant "depuis l'origine" s'applique à toutes les populations autochtones. Mais s'il convient si bien aux autochtones australiens, c'est que ces derniers constituent la civilisation la plus ancienne du monde qui survive encore aujourd'hui, quelque 50 000 ans après sa naissance. Une civilisation oubliée par ceux qui croient que le Capitaine Cook découvrit l'Australie...

Hyde Park, Sydney

En réalité, James Cook ne fut même pas le premier Européen à mettre pied à terre sur le continent. La place revient sans doute à Williem Jansz, capitaine de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, qui aborda en 1606 au fond du golfe de Carpentaria. De ce jeune XVIIe siècle datent les premières cartographies des côtes australiennes, regroupées alors sous le nom de Nouvelle-Hollande. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, la terre australe, pauvre et peu engageante, intéresse peu les puissances coloniales. Ce n'est qu'en 1770 que James Cook et son équipage prennent possession de Botany Bay - dans la Sydney actuelle au nom du roi d'Angleterre George III. Ils la baptisent du nom de Nouvelle-Galles du Sud sans savoir si elle est ou non rattachée à la Nouvelle-Hollande découverte précédemment.

James Cook porte sur les Aborigènes d'Australie le regard de son siècle, celui de Rousseau sur le "bon sauvage". Dans son journal, il évoque un peuple plus heureux que les Européens car "ignorant non seulement les commodités superflues mais également le nécessaire dont l'Europe est friande, ils sont heureux de n'en point connaître l'usage. Ils vivent en toute tranquillité, sans être perturbés par des conditions de vie inégales." Cependant, n'étant pas "civilisés" et ne mettant pas la terre en valeur en la cultivant, les Aborigènes ne sont pas considérés comme légitimement propriétaires de celle-ci. La fiction juridique de terra nullius prévaut.

Les envahisseurs en effet, ignorant tout de la civilisation très complexe élaborée par les Aborigènes - caractérisée notamment par des liens intimes entre l'homme et la terre - et observant qu'ils vivaient surtout de chasse et de cueillette, eurent tôt fait de considérer ces autochtones comme "primitifs" et "incivilisés", donc sans droit de propriété sur la terre qu'ils occupaient pourtant depuis des dizaines de milliers d'années. Les théories de Darwin sur l'évolution sont alors aisément détournées pour conforter le mythe de terra nullius en prédisant l'extinction inexorable et imminente des Aborigènes, sous-hommes voués à disparaître par la confrontation avec la race européenne supérieure. La prophétie tardant à se réaliser, les colonisateurs l'y aidèrent en ayant recours au fusil, au poison, aux maladies et à l'alcool. Par ailleurs, entre 1920 et 1970, 80 000 enfants aborigènes furent arrachés à leurs familles et élevés dans des orphelinats où, coupés de leur culture d'origine et sommés de l'oublier, ils pourraient être assimilés à la population blanche. En leur faisant épouser des partenaires européens, on éliminerait progressivement toute population de couleur...

Victimes de la White Australia Policy, les Aborigènes "de sang pur" étaient quant à eux parqués dans des réserves, privés de la plupart de leurs droits civiques, utilisés comme main d'oeuvre dans des conditions de travail proches de l'esclavage.

Dans les années 1780, le nombre d'Aborigènes est estimé au-dessus du million. Aujourd'hui, les Aborigènes ne sont plus que 480 000, soit environ 2,8% de la population australienne. Victimes de marginalisation raciale, ils souffrent notamment du regard de ceux qui considèrent au mieux qu'ils se sont laissés faire, au pire qu'ils étaient consentants. Contrairement à la légende, les populations aborigènes menacées par le mode de vie des colons européens réagirent de plus en plus violemment à l'invasion. Certaines tribus du Nord résistèrent par les armes jusqu'à la fin des années 1930. Cependant, face à des envahisseurs nombreux et mieux armés, le militantisme prit rapidement le pas sur la force avec pour revendication première la récupération des terres ancestrales.

Ce n'est qu'avec l'adoption officielle du multiculturalisme par le Premier ministre travailliste Gough Whitlam (1972-1975) que les premières terres sont restituées grâce à la promulgation du Aboriginal Land Rights (Northern Territory Act) en 1976. Puis en 1992, la Haute Cour australienne saisie par Eddie Mabo finit par reconnaître l'existence d'un titre foncier autochtone. L'année suivante marque l'adoption du Native Title Act sous l'impulsion du Premier ministre travailliste Paul Keating. Les Aborigènes peuvent désormais réclamer la propriété des terres non aliénées à condition de prouver qu'ils ont maintenu leurs liens traditionnels avec ces terres.

Parc National de Uluru-Kata Tjuta
géré en partenariat par les autochtones et les services de l'état depuis 1985, sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO en tant que site naturel depuis 1987 et en tant que patrimoine culturel depuis 1994.


Aujourd'hui, les Aborigènes possèdent environ 20% du pays mais il s'agit de régions reculées offrant peu d'opportunités économiques. La vente des terres ainsi que la concession de licences d'exploitation à des sociétés minières vont à l'encontre du lien traditionnel que la population aborigène entretient avec la terre, bien collectif et inaliénable. En marge de la société moderne occidentale, beaucoup d'Aborigènes se heurtent à de graves problèmes sociaux - l'espérance de vie à la naissance d'un Aborigène, homme ou femme, est inférieure de plus de 20 ans à celle du reste de la population australienne - et font parfois figure d'assistés. En 1967, un referendum permet au gouvernement fédéral de mettre en oeuvre des politiques d'aides aux minorités, et notamment aux Aborigènes, sur le modèle de l'Affirmative Action aux Etats-Unis.

La question de la reconnaissance continue à se poser pour les Australiens du XXIe siècle. John Howard, Premier ministre de 1996 à 2007 a refusé toute forme de repentance nationale et par là même entraîné la multiplication et le renforcement d'initiatives nationales comme celle du National Sorry Day, tous les 28 mai depuis 1988, pour demander pardon à la population aborigène. En effet, depuis une petite dizaine d'années, les mentalités changent. Sans tomber dans la "black armaband history" qui tend à se focaliser uniquement sur les exactions et les massacres, beaucoup d'Australiens prennent conscience de l'importance de réécrire l'histoire de l'Australie au nom de l'unité de la nation. Pour la première fois le 12 février 2008, un membre du gouvernement - le Premier ministre Kevin Rudd - a présenté des excuses officielles à la population Aborigène pour les crimes commis sous la colonisation. Un symbole fort pour tous ceux qui oeuvrent dans le sens d'une plus grande compréhension mutuelle.


No Worries

jeudi 25 décembre 2008

La chaleur aura eu raison du Père Noël


Au Chili, le Noël est estival.

Chaque année, la même féerie envahit nos rues, nos maisons et les yeux des enfants. Chaque année, les mêmes décors se plantent dans nos villes, nos magasins et nos foyers. Chaque année, enfin, la même folie s’abat dans nos magasins, nos têtes et nos portefeuilles. Des guirlandes de lumières suspendues aux réverbères et aux arbres divers, des boules de toutes les tailles pendues aux fils lancés entre les immeubles, des Pères Noël de plastiques qui grimpent aux parois des édifices, qui tapent aux fenêtres, qui s’agrippent aux cheminées, et cette neige qui tente, tant bien que mal, d’accrocher la chaussée. La magie de Noël opère et tout le monde s’attendrit sur cette date mondiale, cette fête universelle, ce décor homogène de par le monde. Aïe, c’est là que le bas blesse ! Attention à ne pas tomber dans le piège de la représentation hollywoodienne ! Dans l’hémisphère sud, on fête Noël en été. Quoi ?! Tu veux dire qu’il n’y a ni neige ni bonnets et joues rougies ? Et merde, la magie se faufile entre les doigts pour s’envoler vers de meilleures latitudes !

Plantons le décor. 30°C à l’ombre en pleine après-midi, une luminosité aveuglante et, devant une boutique du centre de Santiago, un pauvre comédien qui sue dans son costume du Père Noël. Que dis-je il sue ? Il s’évapore ! Dans un numéro paru fin novembre, l’hebdomadaire estudiantin Ctrl+z se penchait sur le calvaire de ces hommes dont la bourse vide astreint à de telles supplices. Pour gagner quelques pesos (que dis-je ? Pour faire rêver les enfants bien sûr !), ils sont prêts à souffrir le martyr, risquant au mieux la déshydratation, au pire la suffocation et l’insolation. L’article était rempli des plaintes de ces Papas Noël estivaux. L’espèce est en voie de liquéfaction.

Pour ne rien arranger à l’érosion du sentiment de Noël, les représentations aussi souffrent de lourdes pertes. L’image du Père Noël, indispensable à la furie consommatrice des pays du Nord, se meurt ici à petit feu. « Je travaille depuis dix ans dans ce magasin et nos campagnes de marketing n’ont cessé de diminuer l’importance des représentations du Père Noël », affirme Pedro Hughes, sous-directeur d’une succursale Ripley située dans le centre commercial de la Florida, au sud de Santiago. La politique du grand magasin, le troisième du Chili, est désormais à la quasi-inexistence du Père Noël. C’est donc à la loupe qu’il faut chercher des dessins publicitaires de ce gros bonhomme serré dans sa barbe et ses habits chauds. Pedro Hughes explique alors que « les gens sont beaucoup plus éduqués qu’avant, ils ont compris que l’on se foutait d’eux avec ce Père Noël habillé comme pour explorer l’Antarctique, son image ne fait plus vendre ».

Une affiche promotionnelle du magasin Ripley. Le Père Noël n'est représenté qu'en tout petit (en bas à gauche).

Mais alors, on la tient notre solution pour sauver Papa Noël ! Pour le faire renaître de ses cendres, pour qu’il sorte de ses limbes et refasse recette, il suffit de le relooker ! Imaginez alors ce nouveau messie de la consommation de masse, froqué d’un short de surfeur et d’une chemise hawaïenne, et portant en bandoulière un sac en toile. Arborant encore et toujours sa barbe immaculée, il ne serait alors pas dénaturé. Et de sa chemise bariolée entrouverte, une grosse touffe de poils blancs pourraient alors ajouter à l’effet sympathique du personnage. Nous aurions enfin un Père Noël adapté à chaque tropique ! Quel mal y’aurait-il à cela ? Après tout, si le vieil homme porte des milliards de cadeaux sur son dos et sait faire voler des rennes, pourquoi ne saurait-il pas changer de fringues ? « Je ne pense pas que cela marcherait, les gens sont tout de même attachés à un certain cliché du Père Noël. Si on le change, ils ne le reconnaîtront pas. Sa représentation actuelle est ancrée dans notre culture », précise Pedro Hughes. Mais cet ancrage culturel n’est autre que le fruit d’une construction sociale du XIXe siècle. En effet, le Père Noël actuel est une invention tout droit sortie des interprétations religieuses et poétiques de l’écrivain Clement Clarke Moore et de l’imagination du dessinateur Thomas Nast, lequel aura vu ses dessins repris par l’illustrateur de Coca-Cola dans les années 1930, Haddon Sundblom. Pourquoi alors ne pas commencer une nouvelle construction ? Pedro Hughes préfère mettre en avant sa nouvelle stratégie : « Toutes nos publicités cherchent à insister davantage sur les facilités de paiement et sur l’esprit familial que sur l’image féerique que véhiculait le Père Noël par le passé ».

Rien ne met en avant l'image du Père Noël dans ce magasin Ripley. Le panneau publicitaire ne traite que des facilités de paiement.


Diantre ! La mort de Papa Noël est-elle donc inscrite au cahier des charges ? Une promenade au cœur de Santiago finit de nous en convaincre. En ce 24 décembre 2008, le Passage des Orphelins (Pasaje Huerfanos), une voie piétonne très commerçante, porte bien son nom. Orphelins d’enchantement et de rêves, les passants marchent dans une rue quasi-vide de décorations et où ne résonne aucun chant de Noël. Orphelins de Père Noël, ils se rappellent à la douleur de son absence en entrant dans chaque magasin. Sur les affiches publicitaires, Falabella recycle le rouge de Noël pour le vert de son enseigne. Quant à Hites, il troque notre pauvre Papa Noël pour son animal fétiche, également de plus en plus menacé par cette chaleur suffocante.

El huevón

mardi 11 novembre 2008

Quand les gringos soutiennent Obama...

« Obama ! Obama ! », ne cesse de crier un chilien éméché tout en arrosant ses proches voisins de son fond de vin rouge. Arrivé dans ce bar américain par hasard, il semble en tout cas ne pas s’être trompé de poulain. Réunis dans ce quartier de Nunoa, une centaine de jeunes américains en transit au Chili sont venus assister à la soirée électorale, et tous supportent le candidat démocrate.

De nombreux jeunes supporters, faute de place à l’intérieur du bar, restent dehors et regardent l’écran géant par les différentes fenêtres grandes ouvertes. C’est le cas de John qui travaille depuis trois mois à l’hôtel Marriott de Santiago. « Je n’ai pas la télé dans mon appartement et celle-ci est immense», affirme-t-il, tout sourire, pour justifier sa présence. Même son de cloche chez Nichell, étudiante pour six mois dans la capitale chilienne. Monica, elle, souhaitait réellement vivre « ce moment unique » avec « beaucoup d’autres américains et dans une ambiance de fête ». Quant à Emma, elle explique qu’elle vient souvent ici car « l’ambiance est vraiment sympa ! ». « C’est mon “QG“ ! », ajoute-t-elle. Ce bar, connu de la communauté américaine, était « le lieu idéal pour tous se rassembler en ce jour de changement », conclut John. Pour lui, il n’y a pas le moindre doute possible : « Obama va gagner ».

Il est 20h et les esprits commencent à s’échauffer au sein de cette place forte états-unienne non loin du centre de Santiago. Les jeunes américains, étudiants en échange au Chili pour la plupart, ne font pas mystère de leur choix : ils scandent des slogans à l’annonce, par le présentateur de CNN, du nom d’Obama, et sifflent quand le journaliste évoque McCain. D’après US Today/MTV/Gallup Poll, 61% des jeunes américains entre 18 et 29 ans voulaient voir élu le candidat démocrate, contre 35% pour McCain. Mais dans ce petit bar santiaguino, le soutien à Barack Obama est beaucoup plus important : la grande majorité de ces jeunes viennent de Californie, Etat profondément ancré démocrate. « McCain ? Cela reviendrait à réélire Bush ! », s’exclame Monica. « Sa politique de santé et son entêtement en Irak seraient désastreux pour notre pays», précise-t-elle tout en affirmant que ces deux thèmes lui sont chers. De plus, Sarah Palin semble faire figure d’épouvantail auprès des femmes. « Je ne peux pas la supporter », explique Nichell avec une mine de dégoût. « Comment peut-on dire qu’elle est la candidate des femmes ? Elle n’a pas du tout une politique tournée en ce sens ! », s’emporte Emma, rouge d’agacement.

Vers 21h, les premiers Etats tombent dans les escarcelles des deux candidats. Les victoires de McCain sont accueillies par des huées et celles d’Obama par des applaudissements appuyés. Pour l’instant, aucune surprise, chacun des deux prétendants à la Maison Blanche n’empochant que des Etats acquis à leur cause dès les premiers instants de la campagne. Le stress monte mais le paroxysme est encore bien loin. Les résultats des premiers "swing States", Etats qui feront l´élection en penchant d´un coté ou de l´autre, ne seront connus que dans plus d´une heure.

Autour de 22h30, Obama remporte l´Ohio. Des exclamations de joie se font entendre, mais beaucoup restent prudents. « J´espère vraiment qu´il va gagner mais préfère de pas crier victoire trop tôt. J´ai peur que l´élection de 2000 se répète », confie Monica. En effet, ce scrutin très disputé avait vu la victoire du républicain Georges W. Bush sur le démocrate Al Gore grâce au vote des grands électeurs, alors même que le candidat démocrate était arrivé en tête du suffrage universel. Puis, c´est au tour de la Floride, autre Etat clé, de tomber entre les mains démocrates. La victoire de McCain ne tient alors plus que du miracle.

Quand l´Ohio, bastion républicain, est remporté par Obama, l´enthousiasme monte d´un cran.


Cependant, ce n´est qu´à l´annonce, par le présentateur de CNN, de la victoire d´Obama, que la petite foule se déchaîne et laisse éclater sa joie. Applaudissements, cris, embrassades, danses improvisées avec ses voisins, sauts de joie sur les tables ou encore pleurs d´allégresse, chacun y va de son expression. « Il n´y a pas de mots pour décrire ce que je ressens ! », s´exclame Emma, cherchant de l´oxygène entre deux sanglots retenus. Et de poursuivre : « Je suis jalouse de mon frère ! Il est à Chicago en ce moment ! Il va voir Obama faire son discours alors que moi je ne suis même pas dans mon pays pour assister à cet événement historique ! ».

El Huevón

dimanche 5 octobre 2008

Le 11 septembre chilien


Alors que le monde entier se rappelle du 11 septembre comme de l’acte terroriste contre les Tours Jumelles, seul le Chili fait exception à la règle. Le jour n’en est pas moins funeste puisqu’il célèbre l’événement le plus traumatisant de l’histoire chilienne : le coup d’Etat militaire de 1973 et l’ascension d’Augusto Pinochet au pouvoir. Malgré la fin de la dictature en 1990, cette date continue de marquer au fer rouge une société qui n’en finit pas d’être divisée. Chaque année, elle est le prétexte d’affrontements violents entre manifestants et carabineros (police nationale).

Etrange pays que ce Chili qui ne parle jamais de son sombre passé mais où tout explose inexorablement chaque 11 septembre. Tel une cocotte-minute laissée sans surveillance, les maux chiliens rejaillissent lorsque la soupape de l’oubli ne peut plus les retenir. Chaque année, la division profonde du Chili est étalée au grand jour. Chaque année, les mêmes violences mettent à nu une société qui n’a toujours pas affronté sa propre histoire. « N’est possible ni pardon, ni oubli, ni réconciliation » est-il écrit sur une affichette laissée au pied de la statue de Salvador Allende, le président socialiste déchu par le coup de 1973 et qui s’est suicidé plutôt que de se rendre, en face du palais présidentiel. Ses partisans continuent de lui rendre hommage et de scander son nom avec ferveur. « Je pense qu’il faut attendre le changement générationnel pour voir la situation actuelle changer », affirme Rocio Cruz, une étudiante de la grande université de gauche du Chili, la Universidad de Chile. « Comment pardonner quand on a été personnellement touché par la dictature et quand personne ne demande pardon ? », ajoute-t-elle. Il est vrai que dans la société chilienne et le reste de l’année, le sujet est évité, mis aux oubliettes, passé sous silence. Les ressentiments n’en peuvent être que plus tenaces.

Ainsi, Daniela Olivarez, une autre étudiante de la Universidad de Chile, explique que « le 11 septembre est nécessaire pour se remémorer, pour que les familles se recueillent publiquement ». Avant de préciser : « Quant aux violences, elles sont une façon de dire que la lutte pour un monde meilleur n’a pas été oublié, que le message d’Allende n’est pas mort ». Cependant, beaucoup ne partagent pas cet avis. « Il n’y a plus aucune motivation politique à ses manifestations de violences. Nous ne sommes plus dans les années 1990 où il était alors vraiment dangereux de sortir dans la rue quand les deux camps politiques s’affrontaient avec force », explique Cristobal Alvarado, étudiant en médecine.

Aux alentours de 21 heures, les premières barricades sont montées et les premiers brasiers s’allument. Alors que par le passé la violence était assez généralisée, c’est dorénavant dans les quartiers défavorisés qu’elle se fait le plus sentir. Au milieu de l’avenue Grecia, au Sud-est de Santiago, les carabineros ont installé leur forteresse de béton et s’en échappent par petits groupes, se postant le long des murs et attendant les ordres sur le qui-vive. Tout autour, de jeunes chiliens provoquent, insultent et lancent des projectiles. Des voix d’enfants se font même entendre. « Chaque année, les manifestants sont de plus en plus jeunes. Il y a même des enfants de 12 ans parmi eux ! », explique un passant. Bien plus qu’une expression politique de gauche, ces manifestations se sont transformées ces dernières années en le symbole du mal-être d’une société chilienne qui a oublié une part de sa population dans son magnifique développement économique.




Cette année, le bilan s’établit à 234 personnes arrêtées à travers le pays et 31 blessés dont 22 membres des forces de l’ordre. Néanmoins, « les événements sont de moins en moins violents », assure un passant qui s’est arrêté pour assister aux affrontements. La phrase qu’Allende avait prononcé avant de se donner la mort reste alors d’actualité : « J’ai confiance en l’avenir du Chili ».



El Huevón

vendredi 15 août 2008

Le Chili?!



« Pourquoi le Chili ? » est la question qui arrive le plus souvent aux oreilles de l’heureux voyageur qui se retrouve dans cette contrée lointaine. Cette interrogation béate, provenant aussi bien des Français que des Chiliens, ne doit son existence qu’à l’image d’austérité et de pauvreté que véhicule ce pays, ou plutôt à son déficit d’image. A côté du Brésil et de l’Argentine, le Chili fait pâle figure et reste en effet la grande inconnue.


Long de 4300 km et large de 180 km en moyenne, le Chili serpente l’Amérique du Sud entre l’Argentine, la Bolivie, le Pérou, et l’océan Pacifique. Du désert d’Atacama au Nord (le plus aride du monde) aux glaciers de Patagonie au Sud, en passant par Valparaiso au centre, il y a tout un peuple qui vit de paysages magnifiques et divers. D’ailleurs, le gouvernement, sous l’impulsion de la présidente de la République chilienne Michelle Bachelet, a formé un groupe de travail qui étudie actuellement les stratégies que le pays pourrait déployer pour soigner son image. Quels seront les thèmes mis en avant ? Economie de tête du continent sud-américain ? Paysages paradisiaques? Vignobles de renom ? Littérature importante (Pablo Neruda en tête) ? Gentillesse d’un peuple réservé mais chaleureux ? Personne ne le sait encore. Quoiqu'il en soit, le Chili peut compter avec ces qualités et s’appuyer également sur sa vallée centrale, région la plus peuplée et qui renferme la capitale économique et politique : Santiago du Chili.


Encastré entre la Cordillère de la Côte et celle des Andes, Santiago, conurbation de cinq millions d’habitants, fait figure d’exception. Son positionnement géographique lui vaut aussi bien le luxe d’être à une heure et trente minutes des premières pistes de ski et à deux heures des plages de Vine del Mar, que le désagrément d’être une véritable cuvette et de porter ainsi le titre de seconde ville la plus polluée au monde (derrière Mexico). Ainsi, une nappe blanchâtre recouvre constamment la capitale chilienne. Divisé en trente-six communes, le grand Santiago est composé de quartiers festifs, résidentiels, commerciaux… Cependant, la division est aussi sociale et recoupe les zones de pollution, comme du temps où les fumées de pollution des usines parisiennes s’en allaient à l’Est et dans les quartiers ouvriers. En effet, le « Haut Santiago », à l’Est, est d’avantage occupé par des familles aisées habitant des maisons cossues et profitant d’une pollution moindre, alors que le « Bas Santiago », plus au Nord et au Sud, est le lieu d’habitation des plus pauvres. Le centre, lui, est le lieu de la finance chilienne mais également de sa vie politique. De plus, la jeunesse est présente dans ce quartier car s'y concentrent les principales universités du pays, et les soirées arrosées ne sont pas loin puisque le Barrio Brazil et Bellavista, les deux quartiers les plus animés la nuit, se situent justes à ses extrémités.

El Huevón

dimanche 3 août 2008

First Stop : Singapore



Si l'envie vous prenait de traverser le globe de l'intérieur à partir de Paris, même en ne marchant pas bien droit, vous vous retrouveriez sans doute quelque part en Australie. En attendant que Cofiroute and cie s'en occupent, il vous faudra survoler la moitié de la planète pour voir un vrai kangourou. Parcourir tant de kilomètres et n'en voir que des nuages ? Dommage. Autant s'arrêter en chemin.


Entre l'Europe et le Pacifique, tout au bout de la péninsule malaise, à peine visible sur une carte mais pourtant bien là, se trouve la Cité-Etat de Singapour, "Singa Pura" (la ville du lion), bien qu'il n'y ait jamais eu de lion sur l'île mais des tigres.





64 îles, 647, 8 km2 pour un peu plus de 4, 6 millions d'habitants, très peu de ressources naturelles et pourtant un des pays les plus développés du monde. Grâce à sa situation maritime exceptionnelle qui en fait la plaque tournante du commerce international, Singapour est aujourd'hui le premier port mondial en termes d'exportations et de trafic maritime.




C'est sir Thomas Stanford Raffles qui, en 1819, prend le contrôle de la région pour contrer la domination commerciale des Néerlandais. La ville actuelle de Singapour devient alors une base navale britannique importante ainsi qu'un point de contrôle sur le détroit de Malacca.

Les cinq langues officielles de la cité-Etat (anglais, chinois, mandarin, malais, tamoul) sont représentatives de la diversité ethnico-culturelle qui y règne depuis que les britanniques, au moment de leur implantation, firent venir des chinois et des indiens pour travailler dans les plantations d'hévéas.

Le régime politique de Singapour est décrit comme une "démocratie autoritaire". Depuis l'indépendance en 1965, la même famille détient les rennes du pouvoir et les entraves à la liberté individuelle sont fortement présentes dans la vie de tous les jours. La vente de chewing-gum a été interdite en 1992 (mais pas l'usage !) sauf pour raisons médicales. Le nombre d'exécutions capitales par habitant y est aussi le plus élevé du monde (il concerne majoritairement des trafiquants de drogue).

Au large de Singapour, l'île de Sentosa, en carton-pâte, a pour vocation d'attirer les touristes. Pour oser s'y baigner, il suffit d'éviter de regarder vers le large...


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