dimanche 28 décembre 2008

L'Australie aborigène


Le qualificatif "aborigène" signifiant "depuis l'origine" s'applique à toutes les populations autochtones. Mais s'il convient si bien aux autochtones australiens, c'est que ces derniers constituent la civilisation la plus ancienne du monde qui survive encore aujourd'hui, quelque 50 000 ans après sa naissance. Une civilisation oubliée par ceux qui croient que le Capitaine Cook découvrit l'Australie...

Hyde Park, Sydney

En réalité, James Cook ne fut même pas le premier Européen à mettre pied à terre sur le continent. La place revient sans doute à Williem Jansz, capitaine de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, qui aborda en 1606 au fond du golfe de Carpentaria. De ce jeune XVIIe siècle datent les premières cartographies des côtes australiennes, regroupées alors sous le nom de Nouvelle-Hollande. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, la terre australe, pauvre et peu engageante, intéresse peu les puissances coloniales. Ce n'est qu'en 1770 que James Cook et son équipage prennent possession de Botany Bay - dans la Sydney actuelle au nom du roi d'Angleterre George III. Ils la baptisent du nom de Nouvelle-Galles du Sud sans savoir si elle est ou non rattachée à la Nouvelle-Hollande découverte précédemment.

James Cook porte sur les Aborigènes d'Australie le regard de son siècle, celui de Rousseau sur le "bon sauvage". Dans son journal, il évoque un peuple plus heureux que les Européens car "ignorant non seulement les commodités superflues mais également le nécessaire dont l'Europe est friande, ils sont heureux de n'en point connaître l'usage. Ils vivent en toute tranquillité, sans être perturbés par des conditions de vie inégales." Cependant, n'étant pas "civilisés" et ne mettant pas la terre en valeur en la cultivant, les Aborigènes ne sont pas considérés comme légitimement propriétaires de celle-ci. La fiction juridique de terra nullius prévaut.

Les envahisseurs en effet, ignorant tout de la civilisation très complexe élaborée par les Aborigènes - caractérisée notamment par des liens intimes entre l'homme et la terre - et observant qu'ils vivaient surtout de chasse et de cueillette, eurent tôt fait de considérer ces autochtones comme "primitifs" et "incivilisés", donc sans droit de propriété sur la terre qu'ils occupaient pourtant depuis des dizaines de milliers d'années. Les théories de Darwin sur l'évolution sont alors aisément détournées pour conforter le mythe de terra nullius en prédisant l'extinction inexorable et imminente des Aborigènes, sous-hommes voués à disparaître par la confrontation avec la race européenne supérieure. La prophétie tardant à se réaliser, les colonisateurs l'y aidèrent en ayant recours au fusil, au poison, aux maladies et à l'alcool. Par ailleurs, entre 1920 et 1970, 80 000 enfants aborigènes furent arrachés à leurs familles et élevés dans des orphelinats où, coupés de leur culture d'origine et sommés de l'oublier, ils pourraient être assimilés à la population blanche. En leur faisant épouser des partenaires européens, on éliminerait progressivement toute population de couleur...

Victimes de la White Australia Policy, les Aborigènes "de sang pur" étaient quant à eux parqués dans des réserves, privés de la plupart de leurs droits civiques, utilisés comme main d'oeuvre dans des conditions de travail proches de l'esclavage.

Dans les années 1780, le nombre d'Aborigènes est estimé au-dessus du million. Aujourd'hui, les Aborigènes ne sont plus que 480 000, soit environ 2,8% de la population australienne. Victimes de marginalisation raciale, ils souffrent notamment du regard de ceux qui considèrent au mieux qu'ils se sont laissés faire, au pire qu'ils étaient consentants. Contrairement à la légende, les populations aborigènes menacées par le mode de vie des colons européens réagirent de plus en plus violemment à l'invasion. Certaines tribus du Nord résistèrent par les armes jusqu'à la fin des années 1930. Cependant, face à des envahisseurs nombreux et mieux armés, le militantisme prit rapidement le pas sur la force avec pour revendication première la récupération des terres ancestrales.

Ce n'est qu'avec l'adoption officielle du multiculturalisme par le Premier ministre travailliste Gough Whitlam (1972-1975) que les premières terres sont restituées grâce à la promulgation du Aboriginal Land Rights (Northern Territory Act) en 1976. Puis en 1992, la Haute Cour australienne saisie par Eddie Mabo finit par reconnaître l'existence d'un titre foncier autochtone. L'année suivante marque l'adoption du Native Title Act sous l'impulsion du Premier ministre travailliste Paul Keating. Les Aborigènes peuvent désormais réclamer la propriété des terres non aliénées à condition de prouver qu'ils ont maintenu leurs liens traditionnels avec ces terres.

Parc National de Uluru-Kata Tjuta
géré en partenariat par les autochtones et les services de l'état depuis 1985, sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO en tant que site naturel depuis 1987 et en tant que patrimoine culturel depuis 1994.


Aujourd'hui, les Aborigènes possèdent environ 20% du pays mais il s'agit de régions reculées offrant peu d'opportunités économiques. La vente des terres ainsi que la concession de licences d'exploitation à des sociétés minières vont à l'encontre du lien traditionnel que la population aborigène entretient avec la terre, bien collectif et inaliénable. En marge de la société moderne occidentale, beaucoup d'Aborigènes se heurtent à de graves problèmes sociaux - l'espérance de vie à la naissance d'un Aborigène, homme ou femme, est inférieure de plus de 20 ans à celle du reste de la population australienne - et font parfois figure d'assistés. En 1967, un referendum permet au gouvernement fédéral de mettre en oeuvre des politiques d'aides aux minorités, et notamment aux Aborigènes, sur le modèle de l'Affirmative Action aux Etats-Unis.

La question de la reconnaissance continue à se poser pour les Australiens du XXIe siècle. John Howard, Premier ministre de 1996 à 2007 a refusé toute forme de repentance nationale et par là même entraîné la multiplication et le renforcement d'initiatives nationales comme celle du National Sorry Day, tous les 28 mai depuis 1988, pour demander pardon à la population aborigène. En effet, depuis une petite dizaine d'années, les mentalités changent. Sans tomber dans la "black armaband history" qui tend à se focaliser uniquement sur les exactions et les massacres, beaucoup d'Australiens prennent conscience de l'importance de réécrire l'histoire de l'Australie au nom de l'unité de la nation. Pour la première fois le 12 février 2008, un membre du gouvernement - le Premier ministre Kevin Rudd - a présenté des excuses officielles à la population Aborigène pour les crimes commis sous la colonisation. Un symbole fort pour tous ceux qui oeuvrent dans le sens d'une plus grande compréhension mutuelle.


No Worries

jeudi 25 décembre 2008

La chaleur aura eu raison du Père Noël


Au Chili, le Noël est estival.

Chaque année, la même féerie envahit nos rues, nos maisons et les yeux des enfants. Chaque année, les mêmes décors se plantent dans nos villes, nos magasins et nos foyers. Chaque année, enfin, la même folie s’abat dans nos magasins, nos têtes et nos portefeuilles. Des guirlandes de lumières suspendues aux réverbères et aux arbres divers, des boules de toutes les tailles pendues aux fils lancés entre les immeubles, des Pères Noël de plastiques qui grimpent aux parois des édifices, qui tapent aux fenêtres, qui s’agrippent aux cheminées, et cette neige qui tente, tant bien que mal, d’accrocher la chaussée. La magie de Noël opère et tout le monde s’attendrit sur cette date mondiale, cette fête universelle, ce décor homogène de par le monde. Aïe, c’est là que le bas blesse ! Attention à ne pas tomber dans le piège de la représentation hollywoodienne ! Dans l’hémisphère sud, on fête Noël en été. Quoi ?! Tu veux dire qu’il n’y a ni neige ni bonnets et joues rougies ? Et merde, la magie se faufile entre les doigts pour s’envoler vers de meilleures latitudes !

Plantons le décor. 30°C à l’ombre en pleine après-midi, une luminosité aveuglante et, devant une boutique du centre de Santiago, un pauvre comédien qui sue dans son costume du Père Noël. Que dis-je il sue ? Il s’évapore ! Dans un numéro paru fin novembre, l’hebdomadaire estudiantin Ctrl+z se penchait sur le calvaire de ces hommes dont la bourse vide astreint à de telles supplices. Pour gagner quelques pesos (que dis-je ? Pour faire rêver les enfants bien sûr !), ils sont prêts à souffrir le martyr, risquant au mieux la déshydratation, au pire la suffocation et l’insolation. L’article était rempli des plaintes de ces Papas Noël estivaux. L’espèce est en voie de liquéfaction.

Pour ne rien arranger à l’érosion du sentiment de Noël, les représentations aussi souffrent de lourdes pertes. L’image du Père Noël, indispensable à la furie consommatrice des pays du Nord, se meurt ici à petit feu. « Je travaille depuis dix ans dans ce magasin et nos campagnes de marketing n’ont cessé de diminuer l’importance des représentations du Père Noël », affirme Pedro Hughes, sous-directeur d’une succursale Ripley située dans le centre commercial de la Florida, au sud de Santiago. La politique du grand magasin, le troisième du Chili, est désormais à la quasi-inexistence du Père Noël. C’est donc à la loupe qu’il faut chercher des dessins publicitaires de ce gros bonhomme serré dans sa barbe et ses habits chauds. Pedro Hughes explique alors que « les gens sont beaucoup plus éduqués qu’avant, ils ont compris que l’on se foutait d’eux avec ce Père Noël habillé comme pour explorer l’Antarctique, son image ne fait plus vendre ».

Une affiche promotionnelle du magasin Ripley. Le Père Noël n'est représenté qu'en tout petit (en bas à gauche).

Mais alors, on la tient notre solution pour sauver Papa Noël ! Pour le faire renaître de ses cendres, pour qu’il sorte de ses limbes et refasse recette, il suffit de le relooker ! Imaginez alors ce nouveau messie de la consommation de masse, froqué d’un short de surfeur et d’une chemise hawaïenne, et portant en bandoulière un sac en toile. Arborant encore et toujours sa barbe immaculée, il ne serait alors pas dénaturé. Et de sa chemise bariolée entrouverte, une grosse touffe de poils blancs pourraient alors ajouter à l’effet sympathique du personnage. Nous aurions enfin un Père Noël adapté à chaque tropique ! Quel mal y’aurait-il à cela ? Après tout, si le vieil homme porte des milliards de cadeaux sur son dos et sait faire voler des rennes, pourquoi ne saurait-il pas changer de fringues ? « Je ne pense pas que cela marcherait, les gens sont tout de même attachés à un certain cliché du Père Noël. Si on le change, ils ne le reconnaîtront pas. Sa représentation actuelle est ancrée dans notre culture », précise Pedro Hughes. Mais cet ancrage culturel n’est autre que le fruit d’une construction sociale du XIXe siècle. En effet, le Père Noël actuel est une invention tout droit sortie des interprétations religieuses et poétiques de l’écrivain Clement Clarke Moore et de l’imagination du dessinateur Thomas Nast, lequel aura vu ses dessins repris par l’illustrateur de Coca-Cola dans les années 1930, Haddon Sundblom. Pourquoi alors ne pas commencer une nouvelle construction ? Pedro Hughes préfère mettre en avant sa nouvelle stratégie : « Toutes nos publicités cherchent à insister davantage sur les facilités de paiement et sur l’esprit familial que sur l’image féerique que véhiculait le Père Noël par le passé ».

Rien ne met en avant l'image du Père Noël dans ce magasin Ripley. Le panneau publicitaire ne traite que des facilités de paiement.


Diantre ! La mort de Papa Noël est-elle donc inscrite au cahier des charges ? Une promenade au cœur de Santiago finit de nous en convaincre. En ce 24 décembre 2008, le Passage des Orphelins (Pasaje Huerfanos), une voie piétonne très commerçante, porte bien son nom. Orphelins d’enchantement et de rêves, les passants marchent dans une rue quasi-vide de décorations et où ne résonne aucun chant de Noël. Orphelins de Père Noël, ils se rappellent à la douleur de son absence en entrant dans chaque magasin. Sur les affiches publicitaires, Falabella recycle le rouge de Noël pour le vert de son enseigne. Quant à Hites, il troque notre pauvre Papa Noël pour son animal fétiche, également de plus en plus menacé par cette chaleur suffocante.

El huevón